Hommage aux poètes disparus (2) par Pierre VINCENT

 Poésie et mémoire ou l’âme des poètes

Avant de revenir à la Champagne qui a déjà et copieusement alimenté le précédent article, je fais le grand écart pour aller à l’extrême est rencontrer un certain Gottfried von Straβburg. Né à Strasbourg vers 1180 et mort vers 1215 (double imprécision certes, mais il semble avéré qu’il fut contemporain de Walther von Volgelweide, Hartmann von Aue et autre von Eschenbach, ce qui donne une certaine lisibilité à son existence), Gottfried est considéré comme l’un des Poètes allemands du Moyen Âge le plus renommé (poète allemand né à Strasbourg, bah, pourquoi pas … !), son Tristant und Isolde aurait été écrit autour de l’année 1210.

Que nos amis Alsaciens me pardonnent, mais mon propos, ici, n’est pas d’expliquer pourquoi, ni quand, ni comment, notre frontière de l’Est changea de tracé à plusieurs reprises, le ferai-je que le sieur Gottfried aurait tôt fait de me faire remarquer que la poésie, justement, n’a pas de frontière, puisqu’il est, lui-même, reconnu comme un des auteurs de Tristan et Iseult … Là, je m’attends à ce que ce soit nos amis Bretons (dignes descendants des Celtes) qui « montent aux créneaux », si je puis dire.

L’origine celtique de l’histoire de Tristan et Iseult ne fait aucun doute, bien entendu, et les nombreuses versions qui traitèrent du sujet attestent de l’intérêt qu’il suscitait. Si le sieur Gottfried s’en inspira, ce n’est pas au retour d’un improbable voyage en Bretagne (s’était bien trop tôt pour aller visiter les enclos paroissiaux …) On doit bien plus sûrement son information aux infatigables voyageurs qu’étaient les trouvères du nord de France à la fin du 12e siècle. Son œuvre, dit-on, est fragmentaire, seulement 20.000 vers …quand même !

Gottfried s’inspira d’une « Légende » dont le récit courait de cours royales en châteaux féodaux, mais aussi d’un thème pareillement contemporain, celui de l’amour qui perdure jusque dans la mort; souvenons-nous du Lai du Chèvrefeuille de Marie de France (légèrement antérieur aux écrits de Gottfried) dans lequel la poétesse écrit :

« Ma belle amie, ainsi en est-il de nous

Ni vous sans moi, ni moi sans vous… »

 Après ce rappel de la poésie de Marie de France, une entorse quelque peu opportuniste à mon propre règlement qui consistait à ne parler que des poètes du Grand Est, je reviens en Champagne, comme annoncé en préambule, pour évoquer deux hommes, ayant l’un et l’autre de solides références champenoises : 

 – Jean de la Fontaine, mais oui ! Il nait à Château-Thierry en 1621 et meurt à Paris en 1695. Ce Castrothéodoricien de naissance ne ferait pas aujourd’hui un authentique champenois (foi de Picard, diraient certains), soit, mais il se trouve que sa ville de naissance fut longtemps chef-lieu du Comté de Champagne … Jusqu’en 1790 quand la Révolution créa le département de l’Aisne (avec 82 autres) dont Château-Thierry devint un des districts. Notre fabuliste était donc bien champenois de naissance.

            On connaît l’œuvre (immense) et la réputation du grand homme de lettres qu’il fut, on sait que ses fables n’étaient qu’une partie de ses écrits qui comportaient également, des poèmes (mais les fables n’en sont-elles pas ?), des pièces de théâtre et des livrets d’opéra, mais je n’en dirai pas plus sur cet homme qui écrivit lui-même  dans son discours à M. le Duc de La Rochefoucauld : « les ouvrages les plus courts sont toujours les meilleurs … » Alors ! 

Gabriel-Charles de Lattaignant (dit aussi Abbé de Lattaignant, cadet d’une famille aristocratique, il était ecclésiastique par tradition), est né et mort à Paris (1697 / 1779), ce qui ne fait pas de lui un authentique champenois, mais, vers 1745 et durant une vingtaine d’années peut-être, il fut en grande faveur auprès de l’archevêque de Reims, Mgr de Rohan- Guéméné,  qui le prit comme secrétaire …CQFD.

Poète et chansonnier, auteur d’opéras-comiques, de poésies légères et frivoles, de pamphlets et même de cantiques spirituels … ben oui, on est ecclésiastique ou on ne l’est pas,  le fameux abbé mena une vie quelque peu dissolue, s’encanaillant dans les cabarets, il disait de lui-même : « j’allume mon génie au soleil et je l’éteins dans la boue ». Il est coauteur de : J’ai du bon tabac dans ma tabatière, une comptine que l’on n’a pas oubliée à laquelle il a ajouté une dernière strophe raillant M. de Clermont-Tonnerre.

Mais, la plus célèbre de ses poésies galantes est certainement celle-ci : Le Mot et la Chose, qui commence ainsi … et se poursuit sur le même thème :

« Madame quel est votre mot

Et sur le mot et sur la chose

On vous a dit souvent le mot

On vous a fait souvent la chose … »

L’âge venant, l’abbé de Lattaignant se retira en 1769 chez les Frères de la Doctrine chrétienne où il écrivit des pièces au ton un peu plus grave et une dernière chanson en l’honneur de Voltaire qu’il admirait, il mourut peu après le grand homme.

Pierre VINCENT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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