Jacques BREL… 40 ans déjà! par Bernard APPEL

JACQUES BREL… 40 ANS DÉJÀ !…

  ET … TU NE NOUS AS PAS QUITTÉS…

Tu avais tout dit,

        C’est pour cela que tu es parti,

Déjà,

   Au-delà de la désespérance.

Ca y est,

Tu y es,

Dans l’inaccessible étoile.

                        Tu as vécu jusqu’à ta moelle,

                   Tu as aimé à perdre cœur,

              Tu as balbutié tes peurs,

        Tu as toujours gardé tes mains,

Tremblantes,

               Immenses,

      Grandes ouvertes.

Tu as espéré des lendemains qui chantent

A tendresse découverte.

            Tu as pleuré tes solitudes,

              Tu as hurlé dans tes déserts,

          Mais tu as réchauffé les multitudes

             Dans l’ardeur de tes prières.

     En somme,

Tu as été un homme,

Un vrai,

               Ecrabouillé sous sa faiblesse,

Si fort de sa seule tendresse.

Tu viens de partir,

Tu vas te reposer,

Enfin…

                  À un de ces jours prochains !

J’ai écrit ce petit poème en ton hommage, Jacques BREL, d’un seul trait, en larmes, le jour de ta disparition, le 9 octobre 1978. Quarante ans déjà !

J’étais alors, et je suis resté, de toi l’immense artiste, un admirateur fervent et inconditionnel, ce qui explique parfois de ma part, je l’avoue, un vrai manque d’objectivité.

Qui n’a pas eu la chance et le bonheur de te voir, en chair et en os, sur scène, aura toujours du mal à comprendre cette passion. Tu étais bien sûr un écrivain, poète, compositeur de très grande qualité, nul n’en doute plus aujourd’hui même si tu as mis à l’époque plus de 10 ans à être reconnu, mais tu étais surtout un exceptionnel interprète. 

Je t’ai vu sur scène quatre fois, et même le petit écran ne donne qu’une idée bien rabougrie de ton talent. Il passait entre toi et ton public une énergie magique, une intensité vibrante souvent douloureuse, une émotion bouleversante et sismique. Dès les premières notes, dès les premiers mots, tu nous prenais par les yeux, par les oreilles, par le cœur, par les tripes aussi, tu nous plongeais sans résistance possible dans le maelstrom de tes émotions, de tes révoltes, de tes colères, de tes douleurs, de tes espérances désespérées, de tes tendresses, et tu ne nous lâchais plus jusqu’au dernier souffle de la dernière chanson. Tu n’en chantais jamais une de plus, refusant les bis que tu considérais comme démagogiques, mais revenant saluer trois fois, quatre fois, dix fois, parfois même déjà en peignoir (comme le soir de tes adieux à l’Olympia), ravi d’en avoir fini et goguenard de nous abandonner ainsi dans un tel état de transe et de frustration.

Tu étais un amoureux des mots, dont tu disais qu’ils n’avaient pas seulement un sens mais aussi une chair, tu étais un architecte de la phrase poétique, un quêteur de l’essentiel exprimé dans la formule la plus concise possible que tu as peaufinée sans cesse au cours de ta trop courte carrière. Et moi qui m’essaye depuis si longtemps à l’expression poétique, ce sont cette concision vigoureuse, acérée, juste et cette économie de mots, qui tous font mouche parce que respectés dans l’interprétation, qui m’ont toujours fasciné.

Et c’est ce que j’ai envie de faire partager ci-dessous, dans un « florilège » fait d’extraits de chansons ainsi que d’interviews radiophoniques et télévisuels.

Pour toi, Brel, « tout le malheur vient de l’immobilité », «l’intérêt n’est pas soi-même mais le mouvement que l’on provoque », «on use les choses en étant immobile », «le monde s’ensommeille par manque d’imprudence ».

La nostalgie de l’enfance et de son innocence demeure toujours en toi : « On n’en finit pas de courir après les rêves que l’on avait quand on était petit », «on ne quitte jamais l’enfance», « il est midi tous les quarts d’heure, il est jeudi tous les matins, les adultes sont déserteurs, tous les bourgeois sont des Indiens», «j’avais l’œil du berger et le cœur de l’agneau», «un enfant c’est le dernier poète d’un monde qui s’entête à vouloir devenir grand», «être adulte c’est une attitude».

Tu as beaucoup souffert des intermittences des sentiments : «On ne peut être intelligent qu’au-dessus du cœur», «être naïf aujourd’hui c’est la seule manière d’être lucide», «le malheur c’est exactement la différence qu’il y a entre le rêve et la réalité», «je serai bien dans une heure, je serai sans espoir», «tu m’auras perdu rien qu’en me voulant trop», «mais qu’est-ce que j’aurais bien aimé encore une fois prendre un amour comme on prend le train, pour plus être seul, pour être bien; mais qu’est-ce que j’aurais bien aimé encore une fois remplir d’étoiles un corps qui tremble et tomber mort brûlé d’amour, le cœur en cendres .»

Ton regard est à la fois tendre et impitoyable sur le monde, sur les êtres humains, les vanités, l’argent, les injustices, sur toi-même parfois : «Quand on est beau on se suffit à soi-même mais on devient vite… suffisant », «il faut être un grand malade pour aimer se regarder», «on se croit mèche, on n’est que suif», «et tous ces hommes qui sont nos frères, tellement qu’on n’est plus étonné que par amour ils nous lacèrent», «des métros remplis de noyés», «des amputés du cœur qui ont trop ouvert les mains», «l’argent n’a pas d’odeur mais pas d’odeur vous monte au nez», «les gens qui ont de l’argent l’ont bien mérité…», «les gens qui ont de l’argent ne pensent qu’à celui qui leur manque encore», «l’argent, comme le pouvoir, rend idiot», «mon père était un chercheur d’or, l’ennui c’est qu’il en a trouvé». Et, à propos des conditions sociales à l’époque de Jaurès : «quinze heures par jour le corps en laisse, laisse au visage un teint de cendres», «les douze mois s’appelaient décembre», «voir le gris des faubourgs, vouloir être Renoir»

Tu as une peur presque obsessionnelle de vieillir : «du lit à la fenêtre, du lit au fauteuil et puis du lit au lit», «mourir, la belle affaire ! mais vieillir…vieillir… !» Pourtant tu défies et fais souvent la nique à la mort : «l’idée de la mort est d’une salubrité fantastique, c’est elle qui nous redonne la tendresse». Tu la provoques et, à ton «dernier repas», tu «craches au ciel encore une fois» mais tu finis par avouer : «je sais que j’aurai peur une dernière fois»

Enfin, concernant ta carrière d’artiste, malgré ton immense succès, toute ta vie tu conserves une grande lucidité : «un artiste c’est quelqu’un qui a mal aux autres… quand on écrit on fait ce qu’on peut, on ne sait rien pendant, on ne sait les choses qu’après», «je ne suis qu’un petit filtre», «la difficulté fait partie de l’équilibre ; quand les choses fonctionnent bien on ne se pose plus que des problèmes de luxe», «j’ai arrêté la chanson parce que j’aurais fini par être habile donc malhonnête»

Tous mes choix dans ce « florilège sont évidemment subjectifs et surtout non exhaustifs. Pour aller plus loin je ne peux que vous inviter très fort à redécouvrir l’œuvre du « Grand Jacques », ses grands titres, bien sûr, inscrits pour très longtemps dans la mémoire collective, tellement connus qu’il est je crois inutile de les énumérer, mais peut-être surtout la partie de son répertoire restée davantage dans l’ombre, en particulier quelques-unes de ses premières chansons, celles de l’époque de «l’abbé Brel» comme ironisait Georges BRASSENS, dont certaines sont de petits bijoux :  «Heureux»; «Sur la place»; «L’air de la bêtise»; «Je ne sais pas»; «Le prochain amour»; «Pour un peu de tendresse»; «J’en appelle»; «Seul». Mais également certaines chansons enregistrées quelques années avant sa disparition, publiées trente ans plus tard et quasiment inconnues du grand public: «Sans exigences» ; «Avec élégance»; «Il neige sur liège» et surtout, à ne pas manquer, à aller écouter de toute urgence et en priorité  «La cathédrale», cette sublime chanson-testament qui vous mènera de l’alfa  «Le plat pays» à l’oméga de Jacques BREL «Les Marquises».

Merci, Jacques BREL pour tout ce que tu nous as donné !

Bernard APPEL

Site: bernardappel.com

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