L’écriture poétique par Emile MARTIN

La lecture des poèmes

 Pour celui ou celle qui est chargé d’en estimer la valeur poétique est toujours problématique. Peut-on se permettre des remarques à quelqu’un qui, comme on le sait, croit avoir bien fait ? Existe-t-il des normes en la matière ? Cependant, il est possible, en signalant les défauts et les faiblesses d’une œuvre, d’éclairer l’auteur en le fai­sant remonter jusqu’aux sources de la poésie.

Je précise : qui dit « sources »  dit « origines »  et, à l’origine, il y a nécessairement quelque chose dont un poète en herbe (et les autres aussi) doit prendre conscience, et ce n’est pas facile.

Si des poèmes manquent cruellement de charme, de style, d’émotion, de saveur…et j’en passe, ce n’est pas généralement parce que leur auteur méconnaît la langue française, oublie ou néglige les images ou tro­pes qui donnent à un poème sa couleur, utilise les rimes de manière excessive comme si elles étaient fondamentales et autres petites exigences, c’est parce qu’il n’a pas réussi à remonter à ces sources dont il a été question précédemment et qui sont en lui. Il ne sait pas s’écouter. Il y a toujours un peu de narcis­sisme chez un poète et c’est naturel, sinon indispen­sable.

On aura beau lui dire : « renseignez-vous à propos des figures de style, de l’ écriture poétique en général (si cela existe), consultez quelques ouvrages traitant de poésie pour mieux savoir ce qu’elle est ou doit être, relisez les grands maîtres, etc. », est -ce que ce sera profitable à celui ou à celle qui s’aventure dans un domaine où la médiocrité et la banalité ne sont pas admises ? À tout prendre, il vaut mieux encore, comme pour tout art, se livrer à l’excentricité ou à la fantaisie la plus baroque plutôt que d’écrire ce que n’importe qui peut écrire.

Ce n’est pas ce que je souhaite étant donné mon attachement au sens qui, même s’il n’est pas l’essen­tiel, doit assurer la communication : Communiquer ! Quoi ? Comment? Pourquoi ?, telles sont les ques­tions que tout poète doit se poser.

Il veut rendre compte de ce qu’il ressent, il veut bien sûr partager sa passion pour le monde, pour les humains, pour ce que l’on appelle la « nature »  sans se contenter des mots de tous les jours, sans cependant mépriser ces mots, mais en sachant qu’ils ne suffisent pas car ils en disent toujours trop…ou pas assez. Ou ils le disent mal. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils ne sont pas toujours en adéquation avec le ressenti du poète. En inventer d’autres alors ? Non, on ne peut communiquer avec des mots totalement nou­veaux. Reste à exploiter ceux qui ont le plus de chance de remplir cette délicate mission : exprimer du neuf avec du vieux.

Tout poète sait qu’il a à sa disposition des moyens pour cela et qu’il peut parvenir à ses fins mais aupa­ravant il y a plus urgent. Je m’explique en prenant un exemple : voici un magnifique ciel d’automne, à la tombée du jour, qui semble inspirer un poète. Celui-ci va alors tenter de trouver les mots qui conviennent pour évoquer ce que produit en lui cet espace-temps vespéral. Fort bien, mais n’est-ce pas prématuré ? Les mots doivent venir après. Après quoi ? Après ce que ce spectacle a fait naître non seulement en son esprit mais en son corps même, après ce que l’on peut appeler des images puisque c’est bien l’imagina­tion qui a été impressionnée et qui va réagir. Et ce sont ces images qui commandent à ce moment ; naissantes, elles se manifestent de façon brouillonne, souvent accompagnées d’une sorte de brouhaha qui n’est pas encore du langage mais qui va le devenir, nécessairement. Et c’est là que l’effort du poète doit intervenir afin de traduire en clair ce qui n’est à l’ori­gine, comme l’a écrit Michel Serres, « qu’un bruit de fond ».

La grammaire veille toujours mais, à ce niveau-là, elle n’y est pour rien ou pas grand-chose. Nous avons affaire à une autre sémantique et, obéir à celle-ci sans autre forme de procès, conduit à la poésie pure. Certains poètes en restent là mais, en général, ce langage primitif subit un traitement. Opération ô combien difficile !

Je viens d’évoquer le nom de Michel Serres, un des philosophes les plus attachants de notre épo­que et qui a, outre de nombreuses études et analy­ses fort savantes, perçu le phénomène poétique de manière originale. Il a dit, à propos d’un poème de Verlaine La guêpe : « Que le poète doit impérati­vement écouter son corps tout d’abord, sa cœnesthésie, d’où peuvent surgir des éléments entremê­lés, en partie sonores et liés aux impressions visuel­les éventuellement ».

C’est le bruit de fond auquel il a été fait allusion précédemment. Toutes ces manifestations sont à la fois de nature physiologi­que, phonologique et linguistique. Il faut savoir en tenir compte puisque c’est sur elles que le langage va s’appuyer puis se révéler afin de raconter la petite histoire que le poète cherche à mettre au clair de façon originale et personnelle.

Nul besoin donc de se précipiter et d’aller cher­cher les mots qui ne sont peut-être pas faits pour cela, n’ayant pas été « traité ». Ce serait risqué et c’est précisément ce que font certains poètes apprentis et parfois même ceux qui ont de l’expé­rience (j’en fais partie), ce qui les conduit à privilé­gier des mots qui veulent simplement décrire ou rendre compte. Or, en poésie, les mots n’ont pas de compte à rendre, sinon de leur propre activité, de ce bouillonnement intérieur.

Il reste toujours, dans un poème, quelque chose de ce bourdonnement primitif un peu brouillon, de l’imperfection grammaticale des débuts du lan­gage.

Il suffit alors d’écouter et de s’écouter.

La contemplation du ciel dont il était question précédemment n’est plus qu’un prétexte, une occa­sion. Un poète n’est pas un peintre bien qu’il en ait souvent la vision et la sensibilité. Cependant, comme lui, il a un tableau à exposer. Seuls dif­fèrent les procédés et, bien entendu, les intentions et le choix de l’instrument pour opérer.

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