Un ami nous a quittés…

Oui, un ami nous a quittés…

Nous avons eu la tristesse d’apprendre le décès de Gérard Ambroise survenu le 24 février 2019 à Paris à l’âge de 75 ans. 

Gérard était un fidèle adhérent de la première heure de l’APAC, militant convaincu du bien fondé de ses actions, acteur talentueux du comité de lecture pour lequel il était toujours prêt à s’investir quand nous venaient des tapuscrits à analyser.

Auteur de nombreuses nouvelles, nombre d’entre elles furent publiées dans la revue pour le plaisir de tous.

C’est une belle personne qui vient de nous quitter à l’issue de huit années de combat contre la maladie. C’est un chagrin immense que je ressens tant j’avais pour lui une profonde affection et un lien que l’on peut définir d’amitié.

La cérémonie de ses obsèques aura lieu le mardi 5 mars au Père Lachaise à Paris où ses cendres seront dispersées au « Jardin des Souvenirs ».

J’ai adressé à Chantal, son épouse, toutes mes condoléances et, par ma voix, celles de l’association qu’il a tant aimée.

Nous publions en sa mémoire deux de ses nouvelles et souhaitons à son épouse et ses proches tous les courages nécessaires à traverser ces douloureux évènements. G.K.

Le passage de l’infirmière

Par Gérard AMBROISE

La rentrée des classes a eu lieu il y a deux jours. Vers onze heures lorsque je descends chercher mon courrier je trouve une lettre du rectorat de Paris. Je m’empresse de l’ouvrir. J’apprends que je suis réquisitionné pour assurer les cours de philosophie en terminale littéraire. Au lycée Voltaire à deux pas de chez moi. La missive est accompagnée d’une feuille sur laquelle figure mon emploi du temps. Mon service commence à 15 heures. Aujourd’hui même. Je dois être le prof retraité dans cette discipline qui habite le plus près de cet établissement. Je remonte dans mon appartement pour me préparer. Après un repas frugal et une petite sieste je me dirige vers le lycée où je dois assurer ce remplacement urgent.

Je frappe à la loge du concierge. Il est au courant de ma venue. Il me conduit dans la salle où mes élèves m’attendent. Je commence mon cours. Ce qui me surprend c’est qu’un tiers de ma classe est composé de personnes adultes. Des lycéens de plus trente ans ! Impensable du temps où j’étais en activité.

J’invite mon groupe à réfléchir sur l’étymologie du mot philosophie. Il me regarde. Etonné. Personne n’en n’a la moindre idée. Je poursuis en leur demandant de chercher un vocable construit de manière analogue. Au bout de plusieurs minutes une jeune fille propose philanthropie. Je l’interroge sur la signification de ce terme. Elle l’ignore. Nous le décortiquons ensemble. « Et anglophile c’est pareil ? » J’acquiesce en faisant remarquer que, dans ce cas, le préfixe est devenu suffixe. Ma classe s’intéresse à ce travail sur la signification de mots. Elle comprend enfin ce que veut dire philosophie.

Je poursuis en lui demandant des noms de philosophes anciens. Leurs propositions me surprennent. Bouddha, Confucius… Je tente de les ramener à la tradition européenne. Avec beaucoup de difficultés j’obtiens Socrate, Platon et Aristote. Mes lycéens ignorent tout de ces penseurs. Je commence à expliquer leur démarche. Une sonnerie retentit, c’est la fin du cours. Je promets à ma classe de poursuivre mes explications lors de notre prochaine rencontre.

J’erre dans le lycée à la recherche d’un responsable. Je souhaite me présenter au proviseur. Un homme en costume m’indique qu’il va se renseigner pour savoir si le chef d’établissement peut me recevoir. Il me laisse dans un couloir près de la salle des profs. Je pénètre dans cette pièce pour voir s’il y a, déjà, un casier à mon nom. C’est noir de monde. J’arrive en pleine réunion parents/profs. Personne ne remarque ma présence.

Je retourne dans le couloir à l’endroit où j’ai rencontré quelques minutes plus tôt l’homme en costume. J’attends. Longtemps. Personne ne vient me chercher. Je suis là comme un cheveu sur la soupe. J’ai l’impression d’être plongé dans un monde où je n’ai plus ma place.

Tout à coup mon épouse déboule. Elle me secoue.

– C’est l’heure.

Je m’étais assoupi, sur un banc, dans le square proche de mon domicile. J’ai 74 ans. Je dois rentrer. Une infirmière va passer pour me prodiguer des soins. Je suis atteint d’un cancer difficile à contenir.

Prête-nom 

Par Gérard AMBROISE

Au début c’était une petite entourloupe sans conséquence. Une magouille innocente.

– C’est pour augmenter mes chances. On ne peut envoyer qu’un texte à ce concours littéraire organisé par une revue parisienne bénéficiant d’une certaine notoriété. J’ai dans mes tiroirs deux petits récits dont je suis très content. En envoyant le second sous ton nom je multiplie mes chances par deux.

Jean s’explique.

– J’écris depuis trois ans. Une passion dévorante. J’y consacre l’essentiel de mes loisirs. J’aimerais savoir ce que valent les histoires que j’invente. Les dix meilleurs textes seront publiés dans un numéro spécial de la revue organisatrice. Si un de mes textes est choisi j’y verrai une confirmation de mes talents d’écrivain.

– Et si c’est ton deuxième texte sous mon nom qui est sélectionné ?

– Nous serons les seuls à connaître le subterfuge. Il suffira de garder le silence. Cette reconnaissance, même sous ton nom, me dynamisera. J’y verrai un encouragement à poursuivre.

J’accepte d’entrer dans la combine qu’il me propose. Je ne risque rien. Et puis c’est l’occasion de faire plaisir à un bon copain. La semaine suivante, parallèlement à son envoi, j’expédie, avec mes références, son second texte à la revue parisienne. Il sourit en sortant de la poste en ma compagnie. Il ne cache pas sa joie. Je suis content de lui offrir ce coup de main qui le rend si heureux. Jean est professeur d’histoire au lycée de la petite ville, Thouars, où nous demeurons. J’y enseigne, comme professeur des écoles, au groupe scolaire Jules Ferry. Nous partageons une passion commune, la marche. Deux fois par mois nous nous retrouvons dans une randonnée campagnarde organisée par une association locale. C’est là que nous nous sommes connus et appréciés. L’été dernier nous avons participé à un trek de huit jours dans les Pyrénées. Cela a encore renforcé nos liens.

J’oublie vite ce petit service rendu à Jean. Il ne m’en parle plus. Et je sais que nos chances de réussite sont minces. L’année précédente, pour ce même concours, la revue avait reçu plus de trois cent textes. Et je n’ai même pas, dans notre précipitation, lu son petit récit envoyé sous mon nom à Paris. Quatre mois plus tard j’apprends, par courrier, que « mon » texte fait partie des dix retenus pour publication dans le numéro spécial. J’appelle Jean aussitôt. Il est fou de joie en apprenant « sa » réussite. Quinze jours plus tard je reçois, en tant qu’auteur, trois exemplaires de la revue. Je profite de l’occasion pour lire « mon » récit.

C’est un choc. Un cataclysme. Une tempête se déclenche sous mon crâne. La nouvelle qui porte ma signature raconte la confession d’un suspect de pédophilie pendant sa garde vue. Un long monologue entrecoupé de questions où ce monstre, accablé par les preuves fournies par les gendarmes, finit par avouer son crime. Dans sa dernière phrase il indique aux enquêteurs l’endroit où il a dissimulé le corps du garçon de neuf ans qu’il a attiré dans sa voiture. Ce récit que je lis d’une traite me plonge dans un trouble abyssal. Il est écrit à la première personne. Certes je sais qu’il ne faut pas confondre l’auteur et le héros d’une histoire. Daniel Defoe n’est pas Robinson Crusoé. Je le répète souvent à mes élèves pour leur expliquer les caractéristiques d’une fiction. Mais…

… Je me sens piégé, accablé. Incapable d’assumer ce texte publié sous mon nom. Pas question d’en parler à ma femme et à mes deux enfants. Ils ne comprendraient pas. Je retrouve un semblant de calme après des heures d’agitation intérieure. Je décide de faire le mort. La revue parisienne n’est pas connue dans ma ville. Qui la lira à part Jean ? Et lui que peut-il faire ? Raconter la supercherie ? Je vais le voir le lendemain.

– Je me sens incapable d’assumer ton histoire

– Je pensais que tu avais lu ces aveux avant qu’on les expédie à Paris.

Il convient avec moi de faire profil bas.

– Dans quelques mois on ne parlera plus de ce concours.

– Jean je croise les doigts pour que tu dises vrai.

Le temps passe. Plus de deux années se sont écoulées depuis que j’ai prêté mon nom à mon camarade écrivain amateur. Comme il l’avait prévu notre petite magouille est tombée dans l’oubli. Dans mon entourage personne ne soupçonne que les confessions d’un pédophile fictif ont été publiées sous mon nom. Je me demande même si quelqu’un dans le canton de Thouars a lu « mon » texte imprimé dans le numéro spécial « concours » de la revue parisienne. Et puis…

… Un lundi matin, très tôt, je suis interpellé chez moi par les gendarmes. Mon épouse, affolée, me regarde partir dans leur estafette. Les yeux pleins d’interrogations qu’elle n’ose formuler. Moi je comprends vite. Dès les premières questions des enquêteurs. Un gamin de sept ans a disparu hier dans les environs de Thouars. On envisage le pire. Je fais partie de la petite liste des suspects possibles. J’ai été fiché à la suite de la publication de « mon » récit dans la revue parisienne…

Gérard AMBROISE

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