Rencontre du vendredi 11 octobre 2019 avec Gérald Tenenbaum à Villers-lès-Nancy autour de ses 2 derniers ouvrages.
Animation: Nicole BARDIN-LAPORTE
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Reflets des Jours mauves / roman paru le 3 octobre 2019 aux éditions Héloïse d’Ormesson.
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Des Mots et des Maths / essai paru en septembre 2019 aux éditions Odile Jacob.
La séance a lieu dans les salons de Madame de Graffigny toujours aussi propices à l’écoute, la réflexion, l’échange des émotions.
Nicole Bardin-Laporte présente l’auteur qui n’est pas un inconnu des habitués puisque l’Apac a déjà eu le plaisir de le recevoir à deux reprises.
Né en avril 1952, après de brillantes études à l’École Polytechnique, Gérald TENENBAUM se spécialise en mathématiques, rédige de nombreux articles de recherche et de nombreux ouvrages. Il est également reconnu et primé pour ses travaux scientifiques par le Prix Paul Doisteau – Emile Blutet en 1999, conjointement avec Michel Mendès France (fils de Pierre).
Et comme le goût de la littérature n’est pas incompatible avec l’esprit scientifique, Gérald Tenenbaum est également un écrivain, auteur de romans, de pièces de théâtre, de critiques cinématographiques, de scénarios. Plusieurs de ses ouvrages ont été reconnus par des prix ou des sélections :
_ En 2008, « l’ordre des jours », aux éditions Héloïse d’Ormesson a reçu le Prix Erckmann Chatrian.
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En 2012, «L’affinité des traces », aux éditions Héloïse d’Ormesson est sélectionné par le jury du Prix Jean Giono,
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En 2014 « Peau vive » aux éditions La Grande Ourse est sélectionné par le jury du Prix Charles Oulmont – Fondation de France,
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le jury du grand Prix de la fiction de la Société des Gens de Lettres en 2017 pour « les Harmoniques aux éditions de l’Aube.
Gisèle Idoux, adjointe à la culture de la municipalité de Villers-lès-Nancy est invitée à prendre la parole. Elle remercie l’auteur, l’APAC ainsi que le public pour leur présence.
La présentation de Reflets des Jours mauves commence par la lecture de l’ouverture du roman par Bernard APPEL, lecture qui nous transporte dans l’univers poétique, l’écriture musicale imagée et sensible d’un style littéraire.
L’échange s’engage sur le style : est-ce un style aisé, qui coule facilement ou très travaillé ? L’auteur dit peaufiner l’aisance première qu’il peut avoir, ce qui explique le plaisir à relire pour retrouver de la poésie et s’imprégner du bonheur véhiculé par l’écriture.
Celle-ci délivre alors à la relecture des sens moins visibles.
L’histoire commence par un entretien entre Michel Lazare, médecin-chercheur en génétique et Ethan Desnoyers, journaliste.
Michel Lazare décide de lui raconter sa vie, son grand amour pour Rachel. L’intrigue semble s’organiser comme une pièce de théâtre avec ses unités de lieu, d’action, de temps : une nuit, le sous-sol du bar de Max, quartier Mouffetard, le récit de la vie passée de Michel Lazare. Mais le récit entre ces deux personnages bouscule les unités par des allers-retours passé présent. Les lieux changent donc, les actions se bousculent.
Les thèmes abordés sont riches, nombreux et, en semblant parfois s’opposer, se mettent en valeur.
Le contexte du récit de Lazare constitue un thème important. C’est celui des années 1993/1994 en Argentine : la dictature, « les grands-mères de la place de mai », « la sale guerre ». On retrouve ici les événements mondiaux présents dans les « Harmoniques » mais utilisés dans une autre perspective.
Un autre thème important est celui de la rencontre avec l’autre.
La recherche du passé c’est Rachel photographe, le futur c’est Lazare chercheur et généticien. Ils pourraient être complémentaires dans une vie à deux. Mais « le ver dans le fruit » s’insinue parce que « le quotidien du scientifique c’est l’incertitude, le doute. » Le doute éloigne Lazare de celle qu’il aime, Rachel.
Le thème de la communion des peuples, de l’accueil de l’autre est présent et incarné par les auditeurs involontaires du sous-sol du bar.
Ce qui fait aussi la richesse profonde du roman est le symbolisme omniprésent.
Tout est symbole, surtout symbole biblique juif ou chrétien : les noms, les prénoms et les rapports entre les noms eux-mêmes, les nombreuses évocations de la kabbale, donc la valeur des lettres et des nombres.
La vie et la mort bien présentes, sont symbolisées par un corbeau, le pendentif Khaï, symbole de vie, « Nevermore » (de Verlaine ou de Poe?) et peut-être le mauve qui unit le rouge et le bleu.
Ainsi, au plaisir des mots, de leur musique, de leurs images, s’ajoute le plaisir d’avoir à décoder le texte, donc d’être aussi initié.
Merveilleuse entreprise pour le lecteur, merveilleux voyage dans une œuvre dont chaque strate découverte mène à une nouvelle émotion, un nouveau questionnement,un autre sens.
Nicole passe habilement au second ouvrage des « Des Mots et des Maths » en lisant un extrait du premier roman qui affirme par la voix de Rachel que le monde a été créé à partir des lettres, qu’elles renferment donc tous les secrets et que les nombres conduisent aux secrets des lettres .
C’est un essai au style aussi travaillé que celui du roman mais ici le raisonnement remplace l’émotion.
L’ouvrage se présente comme un répertoire alphabétique de termes dans les acceptions différentes : littéraires et mathématiques. Les maths doivent permettre d’explorer ce qu’on peut penser et le langage mathématique finalement devient notre manière de comprendre le monde nous conduisant aux secrets des lettres.
La réunion se termine dans un silence encore plein de questionnements, suivie d’une séance de dédicaces.
Beaucoup d’entre nous se souviennent sûrement de leurs exploits en mathématiques ! Que de regrets ! Les mathématiques vues sous cet angle nouveau sont à reconsidérer. Et puis « L’esprit de géométrie » opposé à « L’esprit de finesse » est une blague. Gérald Tenenbaum écrivain, poète et mathématicien en est la preuve. G. TANZI